Publié le 16/12/2011

Intervention de M. Julien DUBERTRET, Directeur du Budget au Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction Publique lors de la réunion du Bureau de l’Assemblée - 16 décembre 2011

Intervention de M. Julien DUBERTRET, Directeur du Budget au Ministère du (...)

M. Julien DUBERTRET, Directeur du Budget au Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction Publique est intervenu devant le Bureau de l’Assemblée le 16 décembre 2011.

Merci à vous de m’inviter. Il est d’autant plus souhaitable que je prenne un peu de temps pour vous expliquer les finances publiques que celles-ci sont dans un état complexe, difficile.

Je me suis permis de concevoir mon propos comme un point d’actualité sur les finances publiques de notre pays de manière générale. Je me permettrai deux ou trois comparaisons rapides avec les États étrangers pour nous situer, parmi nos grands voisins européens notamment et puis, bien entendu, je serai à votre disposition pour répondre à des questions, si vous en avez.

Il est un peu difficile de s’y retrouver en finances publiques. On a souvent besoin d’une bonne remise en perspective parce que, vous avez pu le constater, quand on regarde les choses par le prisme de la presse, les chiffres s’alignent. On parle d’un plan de redressement après l’autre et on a un peu de mal à reconstituer une image d’ensemble, ce qui donne lieu, parfois, à des interprétations peu heureuses. Je vous propose donc de procéder à cette remise en situation, pour vous expliquer dans quel cheminement et paysage d’ensemble, en matière de finances publiques, nous sommes désormais.

Je vous propose donc de partager notre stratégie annuelle de finances publiques, qui se dessine sur la période 2011 à 2016, 2016 étant la date du retour à l’équilibre désormais programmé de nos finances publiques.

Nous sommes engagés dans un système de traité européen autour de la monnaie unique notamment, qui nous engage chaque année à définir une trajectoire pluriannuelle de finances publiques, ce que nous faisons de manière régulière depuis bien des années. Dans un contexte un peu particulier extrêmement troublé au niveau économique et de finances publiques, des annonces ont été faites par le Premier ministre, respectivement le 24 août et le 7 novembre, que la presse a appelées « plans de redressement », venus compléter l’effort déjà programmé.

La difficulté est d’arriver à comprendre que ce qui avait été décidé et programmé avant ces annonces était très significatif, et à quoi ressemble cette trajectoire qui cumule ce qui avait été programmé dès le début de l’année précédente, ce qui a été annoncé le 24 août et ce qui l’a été le 7 novembre.

Vous lisez donc ici la dernière synthèse de tous les efforts que le gouvernement a programmés à ce jour. Cette planche vous présente de grandes données qu’il est très important d’avoir en tête. On se repose sur une trajectoire de croissance du produit intérieur brut de l’ordre de 1,75 % en 2011. La croissance sera peut-être un peu inférieure. Cela ne changera rien à la réalité des recettes de l’État à la date à laquelle nous sommes : une hypothèse de croissance de 1 % en 2012 et de 2 % sur chacune des années 2013 à 2016. Ce n’est pas un grand mystère de dire que ces hypothèses de croissance, bien que pas très élevées, sont considérées par un certain nombre d’observateurs, comme optimistes. Cela fait partie des choses qui donnent actuellement lieu à discussion, cela ne vous aura sans doute pas échappé, ce qui ne veut pas dire que nous sommes forcément très loin de la réalité.

En matière d’inflation, vous noterez que nous sommes sur une trajectoire d’inflation maîtrisée. Cela fait partie des choses qu’il est important de noter. Contrairement à ce que l’on a pu entendre dire, voire espérer ici ou là, il n’y a pas de reprise forte de l’inflation, ni en Europe, ni dans le monde et particulièrement pas en France. Pour ce qui est des grands objectifs de notre trajectoire de finances publiques, nous sommes tout à fait à gauche de ce tableau, en haut, sur un déficit de 5,7 % de la richesse nationale. Un point de PIB, c’est à peu près 20 milliards d’euros et l’an prochain, nous devons passer à 4,5 % du PIB, avant de suivre une trajectoire 3 %, 2 %, 1 %, puis de retourner à l’équilibre.

Ce qu’il est remarquable de voir – deuxième ligne du tableau du bas – c’est que notre trajectoire de dette doit connaitre un point haut en 2013 et ensuite décroître, en cohérence avec cette trajectoire de réduction du déficit. J’appelle particulièrement votre attention sur cette trajectoire de dette. La dette n’inquiétait pas grand monde jusqu’à peu ; elle est évidemment maintenant au cœur de toutes les préoccupations. Dans les deux critères du Traité de Maastricht qui devaient fonder la stabilité de notre union monétaire, le niveau de déficit ne devait pas dépasser les 3 % du PIB, le niveau de dette ne devait pas être supérieur à 60 % du PIB. Ce deuxième critère souciait moins, mais il est devenu tout à fait primordial aujourd’hui.
Pour finir et avant de détailler ce qu’il y a comme efforts dans cette trajectoire de finances publiques, vous noterez qu’au fur et à mesure que se déroule cette stratégie, la proportion de nos dépenses publiques et de nos prélèvements obligatoires rapportée à la richesse nationale évolue. Nous passons de 56,3 % du PIB en dépenses à 52,8, soit une baisse de 3,5 points ; sur le taux de prélèvements obligatoires, il augmenterait de 2,3 %. Donc, sur un effort total de redressement qui fait 5,7 à 5,8 de PIB, les deux tiers se font du côté des dépenses et seulement un tiers du côté des recettes.

Je me permets d’insister sur ce point, parce que cela fait partie des graves erreurs de perception, à mon sens, qui se sont manifestées lors des annonces de la fin du mois d’août. Le Premier ministre annonçait des redressements pour une dizaine de milliards d’euros, qui portaient en quasi-totalité sur des recettes ; ces annonces ont fait oublier que tout un ensemble d’autres efforts avaient été programmés, pour des montants très importants, sur les dépenses. Il est donc particulièrement important de garder en tête que l’effort, comme dans la plupart des autres États, est très équilibré et fait même la part belle à l’effort en dépenses par rapport aux recettes. C’est une nécessité, dans un pays dont le taux de dépenses publiques est supérieur à la moitié du PIB. Nous avons clairement besoin de freiner la dépense. Ensuite, il peut y avoir des choix politiques d’aller plus ou moins loin. C’est quelque chose qu’il est possible de faire. Il y a quelques jours, j’accueillais l’ambassadeur de Suède pour une intervention devant des contrôleurs de gestion ministériels. Cet ambassadeur à Paris est quelqu’un d’extrêmement passionnant et intéressant, qui a aussi été Ministre des finances dans son pays à une époque où la Suède connaissait de très graves difficultés, dans les années 1980/1990. Ce pays a su passer d’un taux de dépenses publiques de 65 % à moins de 50 % aujourd’hui. C’est une question de choix, de durée de l’effort, etc.

Voilà les très grandes caractéristiques de cette trajectoire. Une trajectoire très exigeante, mais aussi crédible. De ce point de vue-là, je voudrais juste rajouter un élément de perception pour colorier un peu le paysage : la France ne s’est pas illustrée, depuis son entrée dans la Traité de Maastricht, par une énorme fiabilité quant à ses annonces et au respect de ses engagements en matière de finances publiques. On est quand même obligés de le reconnaitre, on a eu un peu tendance dans le passé, tous gouvernements confondus, à présenter des programmes de stabilité annuels qui décrivaient une trajectoire de réduction de déficit, puis ensuite à s’en écarter de manière quasi systématique. Si bien que notre crédibilité historique auprès de nos partenaires européens et d’observateurs extérieurs comme le FMI, les agences de notation ou même des intervenants dans le monde économique, n’est pas énorme. Ce qui change – et je me permets de le souligner, parce qu’il n’est jamais productif de se couvrir la tête de cendres et il faut rendre justice à la vérité – c’est que depuis deux ans, c’est assez sensiblement différent. Sur 2010/2011, nous tenons strictement nos engagements, voire nous les réalisons au-delà de ce qui avait été programmé initialement. Cela commence par l’année 2010, qui ne figure pas sur ce graphique, mais dont je vais brièvement vous rappeler l’histoire des finances publiques. Nous sommes entrés dans l’année 2010 en imaginant un déficit supérieur à 8 % du PIB ; nous l’avons terminée avec un déficit de 7,1 % du PIB, donc significativement meilleur. Beaucoup de raisons à cela, notamment le souhait de retrouver de la crédibilité. De la même manière, en 2011, nous avons commencé l’année en supposant un déficit de 6 % du PIB. Cet objectif a été révisé au début de l’année 2011 à 5,7 %. Je ne vois pas aujourd’hui de raison pour qu’il ne soit pas respecté. Sur 2012, initialement, nous devions être à 4,6 % de déficit, ce chiffre a été révisé à 4,5 % et honnêtement, je pense que la trajectoire qui est décrite et les efforts qui sont programmés doivent permettre d’y arriver.

Nous n’avons pas une très bonne réputation quand nous regardons le long terme. Nous avons une chance de commencer à convaincre, si nous poursuivons nos efforts, sur le fait qu’ayant été crédibles en 2010 et de façon quasi certaine en 2011, nous pouvons accorder foi à notre engagement sur l’avenir. Dans le contexte économique très troublé que nous connaissons aujourd’hui, ce sont beaucoup de signes de confiance que la communauté économique recherche, dans la fiabilité des acteurs, dans la capacité des gouvernements européens à s’entendre entre eux et à dessiner clairement des règles de comportement des voies de redressement pour l’avenir.
Voilà, nous n’avons pas bonne réputation, mais nous nous améliorons. Simplement, comme sur les marchés et dans le monde, la confiance se perd vite, elle s’acquiert lentement. En tant que Directeur de Budget, je dirai qu’il nous faut nous inscrire dans un chemin long de rétablissement de la confiance que l’on peut avoir en nous.

En termes un peu plus chiffrés en milliards d’euros, que signifie cette trajectoire ? Cela veut dire 115 milliards d’euros d’efforts en dépenses et en recettes sur la période 2011/2016. Cela n’entend pas un cumul, mais une différence de dépenses. Fin 2016, il s’agit d’avoir moins de dépenses et plus de recettes pour un total de 115 milliards d’euros par rapport à 2011, en termes de niveau de déficit, l’effort qui doit nous permettre d’aboutir au résultat que l’on souhaite. En termes de dette évitée, c’est évidemment beaucoup plus, plus de 400 milliards d’euros par rapport à une situation où l’on laisserait filer la dépense et la recette sans réaliser les efforts que je vais vous présenter.

Toute cette présentation ne fait que résumer ce que vous pourrez retrouver dans un document qui s’appelle : « La stratégie pluriannuelle de finances publiques », qui actualise et précise un document qui est annexé légalement au projet de loi de Finances, qui est le Rapport économique social et financier. Ce document vous est facile à trouver en ligne sur le site de Bercy : performancepublique.gouv.fr ; nous en avons apporté une trentaine d’exemplaires. Les plus motivés d’entre vous pourront s’en saisir. Les sept ou huit premières pages vous permettront de vous faire une très bonne idée par écrit de ce que je suis en train de vous présenter par oral. Je vous invite à le regarder. Cela est très pédagogique. Cela montre bien dans quelle situation particulière nous nous trouvons.

Je vais directement à la programmation des efforts, en dépenses et en recettes. Ces 115 milliards d’euros d’efforts ne sont pas uniquement réalisés par plus de prélèvements obligatoires ; c’est aussi le résultat d’efforts d’économies très importants. Ceci est extrait du document que je vous ai cité tout à l’heure. Ce premier tableau vous décrit la trajectoire d’efforts en dépenses réalisés sur toute la période. Sur la ligne grisée du bas, vous voyez qu’arrivés en 2016, nous aurions cumulé 74 milliards d’euros d’efforts en dépenses par rapport à une situation où nous n’aurions pas réalisé ces efforts.

Ceux-ci se répartissent sur l’État, la Sécurité sociale, l’Assurance maladie, la réforme des retraites et une ligne collectivités locales. Pour l’essentiel, il s’agit de près de douze milliards d’euros d’efforts par an, dont six milliards sur les dépenses de l’État, trois sur les dépenses d’assurance maladie, et trois du fait de la mise en œuvre de la réforme des retraites. Cette dernière comprend la réforme votée l’année dernière, y compris son accélération annoncée le 7 novembre dernier. Par rapport à une situation où l’on n’aurait pas procédé à cette réforme, cela permet d’économiser trois milliards d’euros par an en dépenses. J’insisterai donc sur le caractère tout à fait central pour l’équilibre global de ce plan et le fait qu’il soit plus important en dépenses qu’en recettes, de cette dimension de réforme des retraites, regardée de très près par les observateurs extérieurs, notamment la Commission, le FMI, pour sa dimension structurelle, qui porte donc un effet dans la durée et qui modifie de manière un peu profonde les grandes caractéristiques macroéconomiques de finances publiques de notre économie.

Un deuxième point mérite un commentaire particulier, celui de l’Assurance maladie. Il est décrit ici un peu plus de trois milliards d’euros d’économie chaque année, soit les efforts qu’il est nécessaire de produire pour maîtriser des dépenses d’assurance maladie et faire en sorte que leur croissance n’excède pas 2,5 % chaque année. Cela peut vous paraître une progression rapide, mais c’est très exigeant.

Jusqu’à présent, nous étions sur une croissance des dépenses de l’assurance maladie de l’ordre de 2,8 ou 2,9 % chaque année, pour lesquels il était nécessaire de faire un effort d’économie annuel de deux milliards d’euros par rapport au spontané de la dépense de santé. 2,5 %, c’est significativement supérieur, de l’ordre d’un milliard d’euros d’effort supplémentaire d’économie par rapport à ce que nous faisions jusqu’à présent, qui sera nécessaire. Sur l’État, six milliards d’euros, ce n’est jamais qu’un milliard de plus que l’effort que nous devions faire jusqu’à présent pour stabiliser les dépenses de l’État. Au début de la période qui vient de s’écouler, elles étaient stabilisées en volume, c’est-à-dire qu’elles croissaient comme l’inflation, y compris dettes et pensions. Nous sommes depuis l’année 2011 dans une situation où nous voulons les stabiliser en valeur, c’est-à-dire les geler en euros courants. C’est ce qu’il se passe en 2011 et même un peu mieux, hors dettes et pensions.

Ce qui a été annoncé le 7 novembre et qui est sous-jacent à ce plan est une poursuite non seulement d’un gel des dépenses de l’État, mais d’une baisse des dépenses de l’État. Il est très important d’avoir cela à l’esprit. Nous sommes dans un effort pluriannuel dans lequel les dépenses des ministères vont devoir baisser à hauteur, globalement, d’un milliard d’euros chaque année. C’est un effort très substantiel. Pour y parvenir, compte tenu de ce qu’est la dynamique spontanée de ces dépenses, ce sont à peu près six milliards d’euros d’économie qu’il faut réaliser chaque année. Ensuite, nous pouvons imaginer que postérieurement aux élections, d’autres choix soient faits, mais pour parvenir aux résultats de l’équilibre en 2016, si le mix peut être différent, globalement, un effort doit être trouvé. À ce stade, le choix est donc de faire porter un effort particulier conduisant à baisser les dépenses de l’État. Nous sommes dans une période de diminution de la dépense des ministères. Compte tenu de l’ampleur de l’effort, personne ne devra être épargné par l’effort que je viens de vous décrire.

Si je poursuis sur la partie recettes, c’est de l’ordre d’un peu plus de 40 milliards d’euros d’efforts qui sont programmés sur la période. Cela représente à peu près treize à quatorze milliards d’euros sur les années 2011 et 2012, cinq milliards en 2013, puis trois milliards par an les années suivantes. Au total, cela représente un supplément de prélèvements de l’ordre de 40 milliards d’euros à l’échéance de 2016.
Cet effort est beaucoup plus concentré sur les années 2011/2012 que sur les années suivantes. Au-delà, nous aurons déjà quasiment réalisé 30 milliards d’euros d’efforts en recettes. Ce n’est plus qu’une grosse dizaine de milliards d’euros, plutôt 13, 14, qui sont à réaliser sur les années ultérieures.

Pourquoi un effort plus important en recettes en début qu’en fin de période ? C’est une caractéristique commune à tous les plans de redressement des États dans une trajectoire de consolidation comme la nôtre. Faire un effort en recettes a un rendement plus rapide qu’un effort en dépenses. Cela présente aussi des inconvénients en termes de prélèvements sur l’économie, mais quand on a besoin de redresser rapidement et d’enclencher un effort, pour commencer en engranger des résultats, il est nécessaire de pondérer pas mal en recettes dès le départ, sauf à faire des mesures d’économies en dépenses extrêmement lourdes. Le choix que vous pouvez lire dans ce document consiste à lancer l’effort en dépenses et ensuite à le faire monter en puissance sur l’ensemble de la période. C’est ce qui explique que la part des mesures en dépenses représente au total à peu près la moitié de l’effort en début de période, mais presque 66 % à la fin de la période. C’est une caractéristique généralement commune à celle de nos voisins, sauf pour ceux qui ont fait des choix particulièrement forts d’économie sur la dépense, comme une diminution de la rémunération des fonctionnaires, une augmentation très rapide de droits d’inscription à l’université, etc. Je me permets de pointer cet aspect des choses, parce que derrière l’arithmétique d’un plan dans lequel il y a un peu plus de recettes d’abord et les économies en dépenses prennent l’ascendant ensuite, il y a des choix d’ordre politique sur la nature du redressement que l’on opère et la manière dont il touche l’économie et les citoyens.

Voilà, au total, la description de ce plan dans ces grandes lignes. Si l’on se compare à ce que font nos voisins européens, à grands traits, jusqu’à présent, les Anglais étaient dans un plan qui était un petit peu plus ambitieux que le nôtre, puisqu’à échéance de 2014 et sur un concept comparable, il représentait une centaine de milliards de livres là où nous sommes en 2014 à 80 milliards d’euros, donc un effort un peu plus important, sachant que la livre vaut à peu près 1,1 euro. Pourquoi les Anglais avaient-ils un effort un petit peu plus important que le nôtre ? Parce qu’ils sont dans une situation plus difficile. La croissance économique en Angleterre est très faible. La dette atteint un niveau bientôt plus important que celui de la France et le déficit est beaucoup plus important. Le Royaume-Uni a un déficit qui correspond plutôt à celui que nous avions il y a deux ans, situé entre 8,5 et 9 % du PIB, quand nous sommes aujourd’hui à 5,7 ; un effort plus important, donc, qui va peut-être devoir se renforcer parce que, tout récemment, ils ont révisé de façon absolument drastique leur hypothèse de croissance pour l’année 2012. Jusqu’à il y a quelques semaines, ils étaient restés de manière un peu irénique sur une croissance de 2,5 % ; elle a été révisée à 0,7 %. La différence signifie probablement une dizaine de milliards des livres d’efforts supplémentaires à réaliser à brève échéance, s’ils veulent ne pas trop déraper de leur trajectoire. Voilà comment nous nous situons par rapport au Royaume-Uni.

S’agissant de l’Allemagne, vous avez peut-être déjà entendu parler d’un plan de redressement de 80 milliards d’euros. J’aimerais souligner à quel point ce chiffre doit passer à travers un décodeur avant d’être comparé à cela. Ces 80 milliards d’euros sont le cumul sur les années 2011 à 2014, d’un plan assez composite comportant des mesures d’économie, des mesures de redressement, mais aussi des mesures d’allègements d’impôts et quand on dit 80 milliards, on cumule l’économie de chacune des quatre années. Il s’agit en fait de dette évitée. Donc, quand nos amis disent qu’ils auront économisé 80 milliards en 2014, en fait, ils auront un niveau de dépenses et de recettes qui aura varié d’à peu près 25 milliards d’euros, qui se compare aux 80 que nous faisons. Donc, les Allemands ne sont absolument pas dans le même ordre de grandeur que la France en termes de redressement de leurs finances publiques. Je dirais que cela est très heureux, parce qu’ils n’en ont pas besoin. L’Allemagne a aujourd’hui un niveau de déficit de l’ordre de 1 % du PIB. Il est plus que probable que l’an prochain, elle soit à l’équilibre de ses finances publiques. Nous pouvons simplement souhaiter que l’Allemagne ne fasse pas trop de redressement budgétaire et que son économie se remette à consommer plus et si possible, des biens français. Mais, cela ne dépend pas que des Allemands, bien entendu.

Tout cela pour vous dire que si nous nous comparons à nos grands voisins, la France est à peu près là où elle doit être, c’est-à-dire un niveau d’effort proche de celui du Royaume-Uni, un peu moins important, mais cela est justifié par des différences de situation ; à un niveau d’effort très au-dessus de l’Allemagne, ce qui se justifie totalement par le fait que l’Allemagne est dans une situation de finances publiques très bonne, à un détail près quand même, qu’elle a connu le même choc sur ses dettes que nous. Nous sommes entrés, les uns et les autres, avec une dette représentant entre 60 et 65 % du PIB à la fin de l’année 2008 et à la sortie de la crise, fin 2010, nous avions les uns et les autres engrangé 20 points de dettes en plus. Fin 2010, les niveaux de dette français et allemands sont quasi identiques, avec un très léger surcroît de dette allemande rapportée au PIB. Ce qui varie ensuite, c’est la rapidité avec laquelle nous stabilisons cette dette : les Allemands partant de beaucoup moins loin en termes de déficit, ils ont la capacité de restabiliser leur dette rapidement ; nous étant partis historiquement d’un niveau de 3 % de déficit là où les Allemands étaient proche de 0, pour revenir à l’équilibre et restabiliser notre dette, nous avons plus de chemin à parcourir. Cela explique que la dynamique de la dette à partir de 2011/2012 soit sensiblement divergente en France et en Allemagne.
Sur cette mention de chiffre de 3 % de déficit qui était en principe la limite haute de ce que nous pouvions nous permettre dans le Traité de Maastricht, ce qui frappe beaucoup est que nous avons tous eu un petit peu tendance à considérer, en Europe – les Allemands moins que les autres – que c’était une moyenne et pas une limite. Nous avons donc eu tendance à déplacer les curseurs et à considérer que si nous n’étions pas loin de 3 % mais en dessous, cela allait bien, en oubliant que le Traité disait qu’il s’agissait d’une limite haute à ne pas dépasser. Or, pour ne pas dépasser une limite haute, il faut se situer à bonne distance !

Une petite illustration pédagogique pour finir : que signifie tout cela pour le budget de l’État et pour le budget des ministères ? Sur la partie gauche du graphique, vous lisez sur les années 2006 à 2010, la progression effective des dépenses de l’État. Que s’est-il passé durant ces années qui n’ont pas forcément été très laxistes en termes de dépenses, puisque nous étions en stabilisation en volume puis en valeur des dépenses de l’État, c’est-à-dire dans la limite de l’inflation ? Quelque chose qui existait depuis très longtemps, on pensait que les charges de la dette allaient chaque année progresser, puisque nous accumulions plus de dettes, alors que ce n’était pas le cas. Tant que nous étions sous l’ombrelle de l’euro, nous avons vécu sous un régime d’anesthésie financière. Tout le monde prêtait à la zone euro sans trop se poser de question sur le risque, la qualité de signature. C’était un peu un régime d’eurobond implicite. Dans ces conditions, les taux d’intérêt ont toujours eu tendance à baisser. 1997/2008 correspond à une période longue de baisse progressive des taux d’intérêt et donc, l’on pouvait accumuler toujours plus de déficits et de dettes tout en stabilisant les charges de la dette ou en les faisant légèrement baisser. Les dépenses des ministères ont donc augmenté, par recyclage de ce que l’on n’avait pas dépensé sur les charges de la dette. Au fond, nous avons vécu dans un gel régime de vertu un peu relative. Actuellement, nous programmons une baisse des dépenses de l’État d’un milliard et demi d’euros en 2012 – cela vient d’être voté par l’Assemblée nationale de manière définitive – suivi, chaque année, d’une baisse supplémentaire d’un milliard d’euros. C’est l’effet auquel on arrive quand on parvient à mobiliser les six milliards d’euros d’économie que je vous ai mentionnés tout à l’heure, qui permettent d’éponger l’accroissement naturel des dépenses et de descendre même pour faire baisser en euros constants nos dépenses.

Nous avons un effort important à réaliser devant nous. Cela peut paraître un peu effrayant. Si nous voulons essayer de ne pas trop nous faire peur et nous dire que c’est raisonnablement à notre portée, sur notre cible de 115 milliards d’euros d’effort, nous avons déjà réalisé fin 2011, plus de 22 milliards d’euros. L’année 2012 dont le projet de loi de Finances de l’État et le projet de loi de Financement de la Sécurité sociale sont votés, sont cohérents avec ces 51,5 milliards d’euros d’effort. Ce n’est certes pas la moitié de 115, mais cela en est une part très substantielle. Cela ne retire rien au caractère drastique des efforts que nous avons devant nous, mais cela montre que nous savons mettre en œuvre en 2011 et voter en 2012, des efforts très substantiels.

J’ajouterai que l’année 2012 n’est pas encore formellement votée. Elle fera l’objet de projets de loi de Finances et de Financement l’année prochaine. Mais, elle est très largement programmée. Notamment la dimension réforme des retraites, si nous la laissons se dérouler, continue à produire à peu près les 3 milliards d’euros que je vous ai décrits. Sur les dépenses de l’État, depuis quelques années, nous vivons sous un régime de budget triennal. Le dernier couvre la période 2011/2013 et l’année 2013 a déjà fait l’objet d’arbitrages détaillés depuis maintenant un an et demi. Évidemment, ils peuvent être bouleversés et modifiés, mais on ne peut pas dire que 2013 soit une page blanche. Le gouvernement qui sera aux affaires à partir du mois de mai pourra le travailler, retravailler, confirmer ou infirmer, mais nous ne partons pas d’une page blanche et pour faire un budget, c’est un énorme plus quand on est dans une logique de tenue exigeante de la dépense.

Voici donc une année 2011 exécutée, une année 2012 votée et une année 2013 déjà très largement explorée. Il reste un gros travail à faire pour 2014/2016, plus exigeant que par le passé, mais quand nous voyons ce que nous faisons aujourd’hui, cela ne nous semble pas hors de portée. En tout cas, nous ne pourrions nous permettre de dévier de cette trajectoire.

J’espère ne pas avoir été trop long et avoir été suffisamment clair. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions, dans la mesure de mes moyens.