Karim DENDÈNE
Publié le 16/08/2017

Karim DENDÈNE

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Perte de la nationalité française par désuétude pour les Français d’origine étrangère, application de l’art. 23-6 du CC

Question écrite de M. Karim DENDENE, conseiller consulaire à Alger et conseiller AFE pour la circonscription Afrique du Nord

L’article 30-3 du code civil prévoit la perte de la nationalité française par désuétude.
Ledit article renvoie à l’article 23-6 du même code qui détermine les conditions nécessaires au constat de la perte de la nationalité française par jugement.
L’article 23-6 envisage exclusivement les cas des personnes « françaises d’origine par filiation ».

Pourquoi les personnes d’origine étrangère, c’est à dire dont l’origine de la nationalité tient à un titre, se voient appliquer l’article 23-6 du code civil, alors qu’il ne les concerne pas ?

L’article 30-3 du code civil, inséré dans la section II (chapitre VI du titre 1er bis du code civil) qui traite de la preuve de la nationalité devant les tribunaux judiciaires, dispose que "lorsqu’un individu réside ou a résidé habituellement à l’étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d’un demi-siècle, cet individu ne sera pas admis à faire la preuve qu’il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n’ont pas eu la possession d’état de Français. Le tribunal devra dans ce cas constater la perte de la nationalité française dans les termes de l’article 23-6".
L’article 23-6 du code civil dispose quant à lui que "la perte de la nationalité française peut être constatée par jugement lorsque l’intéressé, français d’origine par filiation, n’en a point la possession d’état et n’a jamais eu sa résidence habituelle en France, si les ascendants, dont il tenait la nationalité française, n’ont eux-mêmes ni possession d’état de Français, ni résidence en France depuis un demi-siècle.
Le jugement détermine la date à laquelle la nationalité française a été perdue. Il peut décider que cette nationalité avait été perdue par les auteurs de l’intéressé et que ce dernier n’a jamais été français."
Il résulte de la lecture combinée de ces deux articles que la perte de la nationalité française par désuétude peut être opposée à toute personne qui se revendique française par filiation (par opposition à celle qui se revendiquerait française par naturalisation ou parce que née en France d’un parent né en France) si, par ailleurs, sont réunies plusieurs conditions cumulatives touchant à l’intéressé et à son parent et/ou ses ascendants. Les termes "français d’origine par filiation" employés par l’article 23-6 du code civil se bornent à renvoyer à l’hypothèse visée par l’article 18 du code civil, qui reconnaît la nationalité française à toute personne née d’un parent français, sans autre forme de distinction. A cet égard, la loi française ne distingue aucunement selon l’origine du demandeur. Une telle distinction reviendrait d’ailleurs à créer une discrimination entre français selon qu’ils sont ou non "d’origine étrangère", en violation de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Dès lors, toute personne se revendiquant française par filiation pourra se voir opposer les dispositions des articles précités, en particulier si, résidant habituellement à l’étranger, elle ne maintiendrait aucun lien effectif avec la France pendant un demi-siècle. Il importe à cet égard de rappeler que la nationalité française exige que le lien entre un individu et l’Etat français soit entretenu. Ainsi que l’a jugé la Cour internationale de justice, dans son arrêt Nottebohm rendu le 6 avril 1955, “la nationalité est un lien juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d’existence, d’intérêts, de sentiments joints à une réciprocité de droits et de devoirs. Elle est, peut-on dire, l’expression juridique du fait que l’individu auquel elle est conférée, soit directement par la loi, soit par un acte de l’autorité, est, en fait, plus étroitement attaché à la population de l’Etat qui la lui confère qu’à celle de tout autre Etat”.

Origine de la réponse : Ministère de la Justice/ chef de cabinet du directeur des Affaires Civiles et du Sceau